Article paru dans www.finances-hospitalieres.fr
Dans un précédent article, l’auteur des présentes lignes s’interrogeait sur la légalité de l’instruction du 15 juin 2010, soulignant que le conseil d’État avait été saisi au titre d’une question préjudicielle, à l’occasion d’une procédure pendante devant le pôle social du tribunal judiciaire de Bobigny. La question lui était posée de savoir si la « circulaire frontière » était impérative et si, dans l’affirmative, elle était « en tout ou en partie » entachée d’illégale, outre son caractère inopposable. En s’écartant des conclusions de son rapporteur public, la haute juridiction a répondu que non seulement le texte était impératif et opposable mais encore qu’il était illégal, en son point 2.3.2 relatif à la délicate question des « plateaux techniques hospitaliers ».
Référence : Conseil d’État, 1er et 4ème chambres réunies, 13 mars 2020, n° 426568.
La frontière entre soins de ville et hospitalisation de jour étant nécessairement poreuse, l’instruction du 15 juin 2010 dont l’objet était d’interpréter le cadre juridique en vigueur a, en réalité, ajouté du flou au flou, en quelque sorte, ce qui a conduit la rapporteur public à la qualifier de « bête noire » des établissements de santé.
Un rapport commun IGAS/IGF (Développement des prises en charge hospitalières ambulatoires de médecine, Février 2016) avait d’ailleurs alimenté cette approche critique en estimant que le principal frein au développement de l’hôpital de jour était le risque de requalification lié aux incertitudes d’application de cette instruction et en énonçant l’hétérogénéité des pratiques de contrôle.
C’est dans le cadre d’un contrôle ayant conduit l’assurance maladie à requalifier en activité externe un certain nombre d’actes pour lesquels le centre hospitalier de Saint-Denis avait facturé un GHS, que la question préjudicielle a été posée au conseil d’État.
Le caractère impératif de la circulaire, largement débattu par les parties au demeurant, n’a guère posé de difficulté, la haute juridiction ayant considéré que « Si cette instruction prescrit à ses destinataires, de façon impérative, d’adopter l’interprétation qu’elle retient, et qui ne saurait, sans illégalité, ni méconnaitre le sens et la portée des dispositions qu’elle entend expliciter, ni réitérer une règle contraire à une norme juridique supérieure, elle se borne cependant à présenter l’état des textes en vigueur et à dresser une liste d’exemples et ne peut, dès lors, être regardée comme revêtant un caractère règlementaire ».
Il s’agit, en somme, d’une photocopie du droit existant.
Le second volet du recours préjudiciel, articulant sept moyens de légalité, s’est révélé en revanche plus difficile à examiner. S’il n’est pas nécessaire de tous les passer en revue, deux d’entre eux mérite cependant une attention soutenue : l’illégalité de l’arrêté prestations du 19 février 2009 pour incompétence de l’auteur de l’acte, d’une part, et la méconnaissance des dispositions de l’article D.6124-301-1 du code de la santé publique, d’autre part.
1.- S’agissant de l’illégalité de l’arrêté du 19 février 2009, le rapporteur public, que la juridiction a suivi sur ce point, a considéré qu’en admettant l’évidence selon laquelle la loi a clairement renvoyé à un décret en conseil d’État le soin de déterminer les modalités de facturation des prestations d’hospitalisation faisant l’objet d’une prise en charge par l’assurance maladie, l’article R.162-32 du code de la sécurité sociale est venu satisfaire cette exigence en prévoyant que « La prise en charge des frais occasionnés par ces prestations est assurée par des forfaits facturés par séances, journées ou séjours ». C’est dès lors sans incompétence que le ministre a pu, et sur le fondement de l’article R.162-32-4 de ce code, définir les conditions d’application.
Mais le débat n’est pas clos pour autant.
Il paraît bien commode, en effet, d’estimer que cette simple phrase énoncée à l’article R.162-32 ait pu remplir l’office que la loi (art. L.162-22-6 du CSS) avait conféré au pouvoir réglementaire de fixer, par décret en conseil d’État, « Les modalités de facturation des prestations d’hospitalisation faisant l’objet d’une prise en charge par l’assurance maladie ».
S’il est admis, en effet, qu’un décret puisse se substituer à un arrêté (CE, 10 novembre 2004, Union des Industries utilisatrices d’énergie, n°250423, p. 554), l’inverse n’est pas permis lorsque, par exemple, des dispositions qui auraient dû figurer dans un décret en Conseil d’État sont contenues dans un arrêté ministériel (CE 29 juin 1988, Bouteiller et Kammerer, p. 565) ou, a fortiori, dans une circulaire (CE 9 juill. 2007, n°284707, Syndicat national unifié des impôts, Lebon 907, AJFP 2007. 301, concl. Struillou).
Alors que l’article R.162-32 se borne à congédier la question, en quelque sorte, par trois mots (séances, journées ou séjours), les modalités de facturation des prestations d’hospitalisation ne sont véritablement détaillées qu’au sein de l’arrêté du 19 février 2009, tout comme son successeur, l’arrêté du 19 février 2015, lesquels ne se contentent pas d’établir une classification des prestations.
Tout en rejetant le moyen, le conseil d’État fournit malgré tout une nouvelle piste de réflexion en indiquant :
« Le centre hospitalier de Saint-Denis n’est ainsi pas fondé à soutenir que l’instruction litigieuse réitèrerait un texte entaché d’incompétence en se référant à cet arrêté pour exposer les modalités de facturation d’une prise en charge dans une unité d’hospitalisation de courte durée et d’une prise en charge hospitalière de moins d’une journée en dehors d’une telle unité ».
C’est donc la légalité du décret lui-même qu’il convient d’interroger…
2.- S’agissant de la méconnaissance des dispositions de l’article D.6124-301-1 du code de la santé publique, le rapporteur public a admis avoir éprouvé une hésitation.
Il s’agit de la situation où un GHS peut être facturé au titre d’une prise en charge inférieure à une journée dans l’hypothèse où les actes nécessitent la « prise en charge par une équipe paramédicale et médicale, dont la coordination est assurée par un médecin ».
L’établissement requérant faisait grief à l’instruction d’exiger, en son point 2.3.2, l’utilisation obligatoire de plusieurs plateaux techniques hospitaliers alors que l’article D.6124-301-1 du code de la santé publique évoque l’utilisation d’un seul plateau technique ou l’éventualité de plusieurs plateaux techniques.
La thèse soutenue par le rapporteur public, mais que le conseil d’État n’a pas confirmée, était la suivante :
« Précisons d’emblée que le plateau technique n’est, à notre connaissance, pas défini dans le code de la santé publique. Il s’agit davantage d’une notion fonctionnelle qui permet de qualifier un ensemble cohérent d’équipements permettant de réaliser un ou des actes ciblés. On parlera par exemple d’un plateau technique de chirurgie ou d’imagerie médicale ou d’analyse de biologie médicale.
Cette définition assez classique étant posée, est-il cohérent d’exiger que la prise en charge intervienne sur des, c’est-à-dire sur plusieurs plateaux techniques ? À raisonner littéralement, nous n’en sommes pas persuadés.
Toutefois, il me semble que l’instruction en cause n’a en réalité pas entendu prévoir que plusieurs plateaux techniques devaient être maîtrisés mais plutôt que chaque acte devait nécessiter le recours à un plateau technique. En posant cette condition, l’instruction a surtout voulu insister sur le fait que seuls les actes lourds sollicitant le support de la structure hospitalière pourrait être pris en compte, ce qui est cohérent avec la définition des structures d’hospitalisation de jour donnée par le code de la santé publique.
Les exemples donnés dans la suite de l’instruction nous convainquent que c’est cette interprétation qu’il nous faut retenir.
En effet, parmi les actes pouvant être facturés en GHS, la circulaire évoque notamment le bilan d’extension d’une tumeur maligne, lequel semble impliquer une pluralité d’examens mais sur un unique plateau d’imagerie médicale.
En somme, lorsque l’instruction exige plusieurs examens sur des plateaux techniques hospitaliers, il faut selon nous lire plusieurs examens, chacun nécessitant le recours à un plateau technique hospitalier.
Or, si vous nous suivez dans cette interprétation, vous concèderez que la critique devient constructive lorsque le passage litigieux est replacé dans son contexte, la circulaire n’ajoute pas au texte réglementaire ».
La haute juridiction a en effet décidé que l’instruction attaquée méconnaissait bel et bien le sens et la portée de l’article D.6124-301-1 du code de la santé publique qui permet aux structures d’hospitalisation à temps partiel de jour ou de nuit comme aux structures pratiquant l’anesthésie ou la chirurgie ambulatoire de ne comporter sur leur site qu’un seul plateau technique.
Au-delà d’une mise au point tant attendue, cette décision aura des répercussions tant sur la rédaction de la future instruction relative à la gradation des soins que sur les contentieux des contrôles réalisés sous l’empire de l’instruction de 2010.
L’auteur
Me Omar YAHIA
SELARL YAHIA Avocats
Barreau de Paris