Derrière les mesures techniques se dissimulent parfois des enjeux politiques. Tel est le cas de la gouvernance régionale de l’e-santé qui échappait encore à ce jour aux Agences régionales de santé (ARS), cette maîtrise revenant traditionnellement aux groupements de coopération sanitaire (GCS) rassemblant, au premier chef, les établissements de santé publics et privés.
Même si elle ne siégeait pas en tant que membre du GCS, l’ARS disposait toutefois en pratique d’au moins trois outils pour s’assurer que les travaux du GCS étaient bien alignés sur la stratégie régionale : le financement, le contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens et, enfin, les outils de reporting (objectifs, coûts, délais).
Mais ce n’était pas suffisant pour les ARS qui souhaitaient disposer d’une structure juridique permettant de leur conférer la capacité « à superviser les actions du groupement, à suivre son fonctionnement, et à sécuriser juridiquement son rôle d’“opérateur préférentiel de l’ARS” » (cf. instruction n° SG/DSSIS/2017/8 du 10 janvier 20171). La réponse fut trouvée par la création des groupements régionaux d’appui au développement de l’e-santé (Grades), concrétisés par un groupement d’intérêt public (GIP), support juridique privilégié par les autorités et qui devait être mis en place avant le 31 décembre 2017.
Un dispositif de concertation régionale
Ce remodelage du pilotage de l’e-santé répondait, par ailleurs, à la nécessité de s’adapter au nouveau découpage des régions.
Les Grades sont décrits comme « un dispositif de concertation régionale » qui doit permettre à l’ARS d’« associer les acteurs régionaux à toutes les phases de l’élaboration et de la mise en oeuvre de la stratégie régionale d’e-santé ». Ils doivent contribuer à la mise en place du cadre commun des projets e-santé, détaillé par la Délégation à la stratégie des systèmes d’information de santé (Dssis).
Le GIP : facultatif
Le ministère n’ayant toutefois pas souhaité imposer une forme juridique exclusive des autres, le recours au GIP n’est pas obligatoire. L’instruction ministérielle du 10 janvier 2017 laisse en effet aux acteurs concernés la possibilité de conserver la forme juridique du GCS, le cas échéant, ce qui peut paraître curieux puisque, comme il a été précisé plus haut, cette forme de groupement ne peut admettre une ARS en son sein en qualité de membre.
Le regroupement du pilotage de l’e-santé au sein d’une seule et même entité juridique n’en demeure pas moins, en tout état de cause, une priorité de l’État. Tel est d’ailleurs le cas du GCS Normand’e-santé, issu de la fusion des GCS Télésanté de Haute et de Basse-Normandie.
Même si l’on peut comprendre que, sur le plan stratégique et juridique, l’État n’ait pas souhaité imposer aux acteurs régionaux une forme juridique à l’exclusion de toutes les autres, ce qui aurait pu générer un risque de contestation contentieuse, il est permis de se demander si cette liberté de choix ne va pas porter atteinte à l’harmonisation du pilotage de l’e-santé voulue par le législateur. Le maintien d’un GCS e-santé peut s’opérer sous réserve de garantir aux ARS « leur capacité à orienter effectivement l’activité du groupement » et à « sécuriser les conditions dans lesquelles elles lui confient des missions ».
Instaurer une contractualisation claire
Un premier élément de réponse nous est donné à la lecture d’un communiqué de la Fédération hospitalière de France (FHF) du 10 février 2017, lequel indique que « la FHF a obtenu que le statut de GCS, qui exclut la participation directe des ARS à la gouvernance, et témoigne de la confiance qui doit être accordée aux établissements et professionnels de santé dans la mise en oeuvre des dispositifs qui les concernent directement, ne soit pas écarté, et que cette question relève de discussions dans chaque région.
Cette position n’a d’ailleurs pas été contestée par les DG d’ARS présents, qui ont considéré que l’essentiel était d’instaurer une contractualisation claire, et des relations fluides entre leurs services et les GCS ».
En somme, soit la région concernée admettra un GIP et l’ARS en fera partie, soit elle conservera la forme du GCS, auquel cas ce dernier conclura une convention avec l’ARS.
Derrière ces détails apparemment techniques, c’est la façon dont l’ARS est perçue par les acteurs qui sera révélatrice du choix retenu.
L’auteur
Me Omar YAHIA
SELARL YAHIA Avocats
Barreau de Paris